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"J'ai envie d'espérer qu'ils se respectent tous"

SLFDL #3 - Rivalité -
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Jouer dans la rue : entre quête de liberté et respect des règles

Être musicien de rue, c’est proposer ses meilleures reprises ou compositions aux passants. Mais c’est aussi devoir faire avec la présence d’autres artistes. Dans les rues de France et de Navarre, un ensemble de règles implicites codifient la pratique.

À Strasbourg, la compétition entre les musiciens de rue est un fait avéré. La fondatrice de l’association Amac (Association Musique Art Centre Strasbourg) l’a rapidement constaté. Isabelle Mahoudeau a en effet créé cette organisation pour permettre aux musiciens qui le veulent de pouvoir jouer légalement dans les rues de Strasbourg. Dans la ville alsacienne, les artistes n’ont pas le droit de jouer plus de vingt minutes. Seuls les membres de l’association détenteurs d’une autorisation délivrée par la mairie peuvent faire durer le plaisir. Ils peuvent ainsi jouer pendant deux heures et s’ils le souhaitent, utiliser des amplificateurs.

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Mais la création de l’association n’a pas plu à tout le monde. “Les musiciens qui voulaient gagner de l’argent en faisant de la musique de rue m’ont contactée et j’ai compris que notre association était une menace pour eux, témoigne la présidente. L’association ne leur convenait pas parce qu’elle leur permettait seulement de jouer une fois par mois dans les rues. Et elle autorisait, en plus à d’autres artistes de jouer légalement sur leur territoire”.

 

Cette situation, celle qui joue aussi du violoncelle électrique l’explique par le fait que les musiciens ont des statuts différents. “Il y a deux types de musiciens : ceux qui vivent dans la rue et utilisent la musique comme moyen de gagner de l’argent, et ceux qui veulent faire de la musique par plaisir et se servent de la rue comme une scène, un lieu où ils peuvent faire connaître leurs morceaux. ”

Même si les relations entre les chanteurs et joueurs de rue semblent cordiales, le territoire peut être source de conflits. Il peut mettre en concurrence les artistes. Il s’agit de choisir l’emplacement qui leur permettra d’attirer le public et d’atteindre leurs objectifs. Cependant, un terrain d’entente est envisageable pour la fondatrice de l’Amac. “Les rues peuvent être partagées par tous les artistes. Il suffit simplement d’établir des règles qui conviennent à tous ". Dès lors, quelles sont-elles ? 

Respecter la place de chacun

 

Pour que les musiciens de rue puissent respecter le territoire de chacun, Isabelle Mahoudeau a établi un fonctionnement qui 

Isabelle Mahoudeau, fondatrice de l’Amac 

porte ses fruits : planifier des créneaux horaires pour tous les musiciens membres de l’association. “Si deux artistes jouent au même endroit et que c’est à un autre de jouer, le premier doit partir. Même s’il attire du monde et qu’il est dans un bon moment, détaille-t-elle. "C’est comme quand on commande une chambre d’hôtel. Quand on arrive à l’heure indiquée, il faut que la chambre soit disponible. Dans la rue, c’est pareil”. À Paris, Louis Martin, joueur d’orgue de barbarie, plus connu sous le nom du “ Grand Louis”, évoque l’importance de se trouver une place bien à soi : “un jour, je me suis installé dans un nouvel endroit et j’ai commencé à chanter.  Mais au bout d’un moment, un musicien est venu et s’est mis à jouer à côté de moi en me disant que c’était sa place depuis plusieurs semaines. Je suis donc parti et ai cherché une autre place”.

À Marseille, Cyril Barbin, co-gérant du centre de ressources pour musiciens Pôle Info Marseille, va même plus loin en affirmant que le choix de l’emplacement est le résultat d’une “étude de marché pour savoir où les passants se situent et où ils seraient le plus attirés par leurs musiques”. C’est ainsi que “le métro, les sorties de métro, les places de marché et les rues principales sont très convoitées, mais c’est le système du “premier arrivé, premier servi” qui fonctionne”.

Savoir garder ses distances

 

Autre règle implicite et à respecter: garder une certaine distance avec ses confrères. Car jouer trop près d’un autre musicien peut être gênant. Quand cette règle n’est pas respectée, les artistes n’hésitent pas à manifester leur mécontentement. “Je connais un jeune musicien qui doit avoir 35 ans et qui jouait à Notre-Dame de Paris. Avant qu’il commence, un autre artiste lui a dit “tu t’en vas, je joue ici depuis ce matin, c’est mon coin”. Il jouait trop près de lui, et en plus, c’était un quartier très visité”, narre Le Grand Louis.

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Louis Martin alias "Le Grand Louis”

Dans certains quartiers, il est également préférable que les musiciens jouant d’un même instrument ou ayant le même style de musique 

se répartissent le territoire. “Nous faisons des réunions entre joueurs d’orgue de barbarie et nous planifions les endroits où nous allons jouer pour ne pas proposer les mêmes musiques aux passants et pour mettre à profit ce que nous avons à proposer", précise-t-il.

 

Autre paramètre à prendre en compte, les styles musicaux. Ils suscitent d’autant plus de rivalité pour les musiciens qui jouent des instruments plus populaires. Pour le joueur d’orgue de barbarie, la concurrence est moindre. “Moi, je n’ai pas eu de problèmes, mais je pense que si j’avais une guitare, je ne serais peut-être pas aussi bien accueilli par les autres artistes”.

 

Être à l’écoute des plus démunis

 

Même s’il leur arrive de récolter quelques pièces, les artistes de rue savent faire la différence entre leurs pairs et ceux qui s’apparentent à de “vrais” mendiants.  Chris Angela, chanteuse professionnelle à la retraite ayant débuté à Lyon, l’a bien compris. ”Une fois, une tzigane a demandé de l’argent à un ami car il chantait près de l’endroit où elle était. Elle lui a dit qu’à cause de lui, elle ne pouvait pas attirer les passants et gagner de l’argent. Donc on essaie de s’éloigner pour ne pas les gêner”.

 

Les mendiants, pour qui la musique est le principal moyen de subsistance, sont en effet à prendre en considération. Jouer à proximité de leur spot, c’est menacer leur principale activité. Mais à Strasbourg, les musiciens en possession d’une autorisation sont prioritaires. “La solution, c’est d’expliquer aux mendiants qu’ils ne peuvent pas jouer à cet endroit précis  en espérant qu’ils puissent trouver un autre lieu”, explique Isabelle Mahoudeau.

 

La rue n’appartenant à personne, les artistes n’ont pas de place attitrée mais des emplacements préférentiels. Les planifier revient-il à entraver la liberté que les musiciens recherchent en choisissant la rue comme scène musicale ? Pour Isabelle Mahoudeau, la liberté est présente lorsqu’elle respecte celle d’autrui. “Il y a des personnes qui vivent dans ces rues, qui travaillent, qui se promènent. Eux aussi ont des libertés. En encadrant cette liberté, on est libre de faire de la musique dans tous les endroits de la ville où on est permis de le faire”.

 

Que ce soit à Strasbourg, Paris, Marseille ou Lyon, les chanteurs de rue sont souvent confrontés à la concurrence de leurs pairs. Mais loin de l’apparente anarchie qui semble régner pour quiconque ignore le fonctionnement de cette communauté, il apparaît au contraire qu’un ensemble de règles précises régisse la place de chacun.

                          JOHANNA BONENFANT

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