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"La plupart sont pauvres et précaires"

SLFL #1 - Mendicité -
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« Je prétends que nous sommes des mendiants »

Riton la manivelle a 70 ans et ambiance les rues parisiennes depuis une trentaine d’années. Peu de gens connaissent son patronyme. Son identité, il la « réserve pour la police ». Parce que son nom d’artiste a pris le pas sur son état civil, il se définit comme un vrai chanteur de rue, cette profession que tente de défendre son association baptisée « Manivelles et ritournelles. » Co-auteur de La grande histoire des chanteurs de rue, il revient sur les ambiguïtés qui pèsent sur la définition de cette activité. Celle d’être un chanteur et un mendiant pas comme les autres.

On associe souvent musiciens de rue et mendiants. D’où provient cette image ?

 

Ça vient en partie du XIXe siècle, et pour plusieurs raisons. Avec la moralité bourgeoise qui naît en même temps que le prolétariat, tout ce qui dépasse du cadre est mal vu. Des écrits de l’époque interdisaient aux musiciens ambulants de chanter dans les salles, les bistrots. C’est une normalisation de la société autour de valeurs bourgeoises. Cette période est aussi marquée par de nombreux conflits. Les soldats mutilés de guerre n’ont pas de revenus, d’assurance et ne sont pas soignés pour la plupart. L' armée leur distribuait des orgues de barbarie en compensation de leurs blessures. On voit des tourneurs de manivelle émerger dans les rues et jouer en compagnie d’animaux exotiques qu’ils ont ramenés de leurs campagnes. Ils ne sont pas musiciens mais font la manche pour survivre.


"Au XIXe siècle, il y a une normalisation de la société autour de valeurs bourgeoises"

Cette représentation est assez bien répandue dans l’imaginaire collectif. Les arts graphiques ont-ils également contribué à répandre cette image des chanteurs de rue ?

 

Bien sûr. On peut prendre l’exemple des caricatures d’Honoré Daumier. C’est aussi l’époque du réalisme, on chante et représente la misère du peuple. La musique de rue représentait au XVIIIè siècle quelque chose d’important. Lors des balades du dimanche, on voyait les saltimbanques, les chanteurs et les musiciens. Ce n’est qu’un siècle plus tard que se développe cette image du chanteur mendiant. Mais c’est une image d’Épinal, elle est globalement erronée. Pour être musicien, il faut avoir un peu étudié la musique et avoir un instrument. Ça coûtait cher pour quelqu’un de pauvre.

 

"Avec le mendiant, c’est la charité, la compassion ou la pitié qui déterminent le don. Et moi, je ne fais pas pitié."

 

 

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Vous définissez-vous comme mendiant ? Et qu’est-ce qui différencie le musicien de rue du mendiant ?

 

C’est un problème sémantique et politique. Je prétends que nous sommes des mendiants. C’est sous la présidence de Mitterrand que la mendicité a été dépénalisée et que les revenus qui en sont tirés ont été défiscalisés (ndlr: depuis la rédaction du code pénal de 1994). Si l’on admet qu’il y a un rapport commercial entre quelqu’un qui vend une prestation et quelqu’un qui paye, alors, on pourrait accepter qu’il y ait imposition. Rester mendiant c’est donc important pour nous car sinon, nous devrions payer des impôts. Mais, aujourd’hui, peu de personnes mendient par la musique. Je parle là de vrais mendiants. Quand un individu pénètre dans le métro, le contrat est clair : il joue puis passe entre les voyageurs avec son chapeau tendu. La différence est difficile à apprécier car on ne sollicite pas le don, je n’ai pas besoin de tendre mon chapeau. On ne sollicite pas le don car il se fait par consentement, si la musique plaît. Avec le mendiant, c’est la charité, la compassion ou la pitié qui déterminent le don. Et moi, je ne fais pas pitié.

 

Votre discours fait écho à celui de la Ménestrandise (ndlr : une corporation d’artistes de rue qui a existé à partir du XIVe siècle) où les artistes structuraient leur activité et leur identité par opposition aux mendiants.

 

L’activité de chanteur de rue était effectivement très codifiée. Chaque association de ménestrier avait son propre règlement. Ils étaient sévères et interdisaient la mendicité. C’était une vraie administration avec, à sa tête, le « roi des ménestrels ».

En une seule journée, Riton la manivelle peut gagner entre 5€ et 200€.

La musique de rue était un vrai métier, une vraie pratique. Il fallait passer par un apprentissage auprès d’un autre ménestrier puis passer un examen. Les prestations étaient elles aussi réglementées. La profession cherche à se structurer et à se défendre. Ça a duré jusqu’au XXe siècle, dans les années 1930.

 

Comment définir la profession de musicien et chanteur de rue ?

 

Ah c’est une bonne question, je me la pose très régulièrement (rires). Ne peut pas se prétendre chanteur de rue quelqu’un qui ne ferait que ça tout le temps. Le chanteur de rue se définit par sa liberté. S’il a été engagé par une municipalité, une association, il est sous contrat et n’a donc pas cette liberté.Si je suis libre d’aller et de venir, de jouer ou non, alors je suis musicien de rue.

"C’est un fantasme, tout le monde le fait et se dit chanteur de rue"

La dimension du voyage et du vagabondage est-elle aussi constitutive de ce métier ?

 

Ça, c’est une vision moyenâgeuse de l’histoire. Aujourd’hui, je pense que le fait de représenter un espace particulier, une ville ou une ambiance est important. Cela peut pousser les gens à s’identifier à un territoire. Il y a toujours des collègues qui aiment la route pour exprimer leur liberté. Mais ça se fait de moins en moins.

 

Où en est la profession aujourd’hui ?

 

Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de chanteur de rue. Les gens ne s’arrêtent plus spontanément. Et il y a aussi la police. Il devient interdit de faire de la musique dans la rue. Il faut une autorisation, enfin plutôt une dérogation à l’interdiction. Les références de la police proviennent d’ailleurs du Moyen-Age : gêne à la circulation générale, attroupements favorisant les actes de pickpocket, cris et vocifération sur la voie publique... C’est aussi pour cela qu’on a créé l’association, à cause des arrêtés anti-mendicités dans de nombreuses villes. On revient à une forme de structuration de la profession comme dans le passé mais ça tergiverse un peu. Et beaucoup de gens pratiquent dans la rue. C’est un fantasme, tout le monde le fait et se dit chanteur de rue…

VICTOR FUSEAU
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